La sécheresse des hommes d’Uriel – Extrait 1

Temps de lecture : 7 minutes

Dans l’univers où se déroule l’intrigue, les hommes sont devenus stériles et la population est au bord de l’extinction. Un ordre religieux de femmes travaille sur un remède, dont la dernière base vient d’être volée par un individu inconnu à la force surhumaine. Les sœurs des Trois vont alors tout entreprendre pour récupérer ce qui leur appartient. Ce qui les amènera dans la foulée à interpeler plusieurs mâles suspects, dont Marrah Atsu, le héros de cette histoire.

Bonne lecture !

Axel Dalibert Legris

2731e révolution, quelque part au centre de la face claire d’Uriel

  • Monsieur l’ermite, appela la petite fille en passant sa tête à l’intérieur de la yourte.

L’enfant chercha du regard le vieil homme. Il le trouva assis au milieu du désordre ambiant, qui avait grandi depuis sa dernière visite. Quant au propriétaire des lieux, il ne bougeait pas. Son immobilité lui rappelait celle des statues étranges qui peuplaient son oasis.

  • Monsieur, réitéra-t-elle.

L’enfant attendait sur le seuil de l’entrée pour respecter les règles de politesse inculquées à l’école nomade. Cependant, les formalités et la patience n’étaient pas son fort. Quand les quelques secondes qu’elle s’était imposées furent écoulées, elle s’octroya le droit de passer le pas de la porte. Elle s’aventura à l’intérieur de l’habitation exiguë et à l’atmosphère épicée.

L’infraction ne parut pas perturber plus que cela le vieillard. En s’approchant, elle put constater qu’il n’avait pas changé d’aspect depuis son dernier passage. Son torse nu exposait des côtes saillantes, ainsi que d’anciennes cicatrices. Ses cheveux en bataille défiaient les lois de la gravité. Son assise en tailleur semblait lui être agréable comme en témoignait le sourire béat qui flottait sur son visage parcheminé et poilu. De longs sourcils broussailleux soulignaient ses yeux clos. Quant à son unique main, elle maintenait une poignée de sable argenté qui s’écoulait entre ses doigts noueux dans un débit régulier.

La petite n’était pas stupéfaite de le trouver ainsi. Il lui était arrivé de le surprendre dans des positions de méditation bien plus étranges encore. Dans certains cas, à la limite de la contorsion. Lors de ses précédentes visites, elle lui avait demandé pourquoi il passait autant de temps à dormir dans une telle posture. L’ermite lui avait toujours donné des réponses farfelues. Il disait que ça lui servait à retrouver les objets égarés dans son palace ou à faire voler vers lui sa tasse de thé trop chaude. Elle se doutait qu’il inventait ces bêtises pour cacher la vérité. Parmi toutes celles qu’elle avait entendues, une seule lui avait paru convaincante. Le vieil homme s’était confié avoir recours à ce demi-sommeil pour revivre des moments du passé. Cela l’aidait à les accepter, à mieux les ranger dans sa tête et qu’à ce titre il avait encore beaucoup de travail à réaliser. Puis quand il s’était rendu compte de son épanchement, il avait conclu par des notions plus compliquées, comme réorganisation de psyché-quelque-chose ou apaisement de l’âme intra-machin. Le brouillage de pistes typique des adultes…

L’enfant observa l’ermite d’un peu plus près. Combien d’heures pouvait-il passer à méditer plutôt qu’à jouer ? Certainement beaucoup, essayait-elle d’imaginer avec peine. C’était pour elle inconcevable d’utiliser ses journées ainsi. Si la doyenne de l’oasis ne lui imposait pas des leçons aussi ennuyeuses, elle passerait l’intégrité de son temps à s’amuser avec ses camarades, à rêver d’un destin extraordinaire, là où les journées se rythmaient avec des nuits.

Mais peu importait les habitudes de ce drôle d’homme, il fallait à présent le faire sortir de sa torpeur. Elle n’était pas venue ici pour le regarder somnoler. Elle s’approcha un peu plus près de lui et leva ses deux mains en direction de son visage hirsute. Comme si attendait la petite, celui-ci ouvrit brutalement les yeux, suivi d’un vif mouvement de recul. Il tomba à la renverse, dégringolant de son socle qui lui servait de siège. Ainsi surpris, la fillette aurait eu peur que l’adulte se mette en colère. Cependant ce ne fut pas le cas du vieil homme, qui explosa d’un rire franc. Après avoir gît sur le dos un moment, il se redressa avec vigueur et son regard se posa sur elle avec un mélange de mansuétude et de malice.

II

  •  Tiens donc ! Un enfant de l’oasis est venu me rendre visite, s’étonna le vieil homme de sa voix minérale.

Il observa la petite fille dont les mèches d’or blanchi tombaient en cascade sur ses épaules. Cette teinte de cheveux l’émerveillait à chacun de leur entretien tant elle était rare chez les humains d’Uriel. Elle avait quasiment disparu au contraire du brun, du châtain et du roux.

  • Bon cycle, le salua-t-elle avec une politesse exagérée.
  • Bon jour à toi aussi. Je constate que tu as encore échappé à la vigilance de la vénérable ! Ça veut dire que je vais bientôt la voir débarquer chez moi pour te récupérer et qu’elle va nous gronder. Tu n’en as pas assez de me créer des ennuis ?

À cela, la blondinette lui adressa un sourire complice. Le vieillard but une gorgée de sa tasse de thé depuis longtemps froide. Il finit par demander :

  • Alors, que puis-je pour toi petite ?

L’intéressée regarda ses sandales tressées pour feindre une timidité qu’elle n’avait pas, puis répondit :

  •  Je suis venue pour que tu me racontes une des histoires d’avant ma naissance !
  •  Ah, fit l’ermite à peine surpris. Une de mes histoires ! Et laquelle souhaites-tu aujourd’hui ?
  • Celle de Marrah où il affronte les séraphines.
  • Encore celle-là ?

Bien qu’il ne rechigne jamais à narrer une aventure de son héros préféré, c’était la troisième fois d’affilée qu’il lui contait. Il admirait la passion obsessive des enfants. Ceux-ci étaient capables de faire inlassablement les choses qu’ils aiment. Malheureusement, il le déplorait jour après jour, ce n’était plus son cas. Il se laissait vite.

  • Tu ne voudrais pas changer d’histoire pour une fois ?
  • Non, répondit-elle avec une fermeté qui pouvait surprendre de la bouche d’un enfant. Je suis venue pour réécouter l’aventure de Marrah et des neuf sœurs ! Sinon je repars chez moi !

Le vieillard se rembrunit face à cette sérieuse menace. Il tentait une négociation qu’il savait perdue d’avance. Cette petite pouvait se montrer particulièrement entêtée quand elle s’y mettait :

  • Tu ne voudrais pas apprendre comment Marrah a obtenu sa force prodigieuse ? Ou de quelle manière il s’est échappé du siège de Haute-Colonne ? Ses expéditions dans la face sombre de la planète ?

En guise de réponse, l’enfant secoua simplement la tête. Ce qui ne découragea pas le vieil homme.

  • Ses voyages l’ont mené en dehors des frontières Troisiène, jusqu’aux terres qui n’ont jamais été cartographiées par aucune faction. As-tu déjà entendu parler des mangeurs d’os ?
  • Non, répondit la petite en fronçant exagérément les sourcils. Je veux la dernière aventure de Marrah Atsu !
  • Mais pourquoi cela ? J’ai plein d’autres histoires !
  • Parce que j’en ai envie, avoua-t-elle sans ambages. Puis après une courte hésitation, elle ajouta : Et elle raconte la guérison de la Sécheresse ! Sans cela, nous les enfants de l’oasis ne serions pas nés !

L’explication de la petite surprit le vieillard qui ne sut pas quoi répondre. Elle faisait allusion à la maladie qui avait rendu la grande majorité des hommes stériles plusieurs décennies auparavant. La natalité ayant dramatiquement chuté, la population d’Uriel avait bien failli s’éteindre. Cette histoire réveillait les traumatismes de ceux qui l’avaient vécue. De plus, il n’avait pas encore été décidé de quelle manière les erreurs du passé seraient révélées à cette nouvelle génération.

  • Où as-tu entendu une telle chose, fillette ? s’enquit-il.

Il craignait avoir laissé échapper cette information par mégarde. Il n’en était pas à sa première étourderie.

  • C’est la doyenne qui nous l’a appris à l’école !

Pour seule réponse, le vieillard caressa pensivement sa barbe. Pourquoi avait-elle trouvé judicieux d’en parler à ses protégés, songea-t-il.

  • Elle dit rarement du bien des hommes, poursuivit la petite. Mais je crois qu’elle aime bien Marrah.

À cela, l’ermite eut un rire gêné.

  • C’est vrai qu’elle n’est pas tendre avec les adultes en général, plaisanta-t-il. Je l’ai vue refouler des marchands itinérants l’autre jour… je n’aurais pas voulu être l’un d’eux !

C’est d’ailleurs pour cela qu’il préférait garder ses distances avec le village des enfants. Il n’y passait qu’en cas de nécessité. Alors qu’il laissait ses pensées dériver à nouveau, la petite s’agita, faisant rebondir sur ses épaules ses boucles dorées. Elle alla tirer un gros coussin calé sous un amoncellement de manuels en tout genre, pour le placer devant lui. Puis une fois assise dessus, elle regarda le vieil homme comme si l’affaire était déjà conclue entre eux.

  • Soit, déclara-t-il en levant son unique main en l’air pour signifier qu’il se rendait. De toute façon, je n’ai rien de mieux à faire pour le reste du cycle. Je raconterai donc une nouvelle fois l’histoire de Marrah Atsu et des séraphines.

L’enfant se balança d’avant et en arrière pour exprimer son excitation. Alors que lui aussi se mettait un peu plus à l’aise pour commencer le récit, elle lui désigna la pile de livres derrière lui.

  • Tudieu, comprit-il aussitôt. Les bougies !

La demoiselle aimait que l’ambiance soit tamisée lors de ses narrations. Il fit une révérence distinguée comme pour s’excuser devant une princesse d’Augure, puis il s’empressa d’aller allumer les cierges disséminés dans la yourte. Pour se faciliter la tâche, il démailla le haut de sa toge qui nouait son bras amputé contre son torse. Il fit quelques assouplissements pour se dégourdir l’épaule et se dirigea vers la pile d’ouvrages qui lui servait de chandelier improvisé.

Des coulures de cire s’étaient solidifiées le long des tranches jaunies. Après avoir allumé les bougies de la bibliothèque à l’aide de son précieux briquet, il alla s’occuper des autres dans la soucoupe en cuivre suspendue au plafond, puis celles engoncées dans des goulots de bouteilles proches de l’entrée. Les lueurs chaleureuses dansaient dans l’habitation de toiles et de peaux.

Le vieil homme amorça une marche arrière délicate pour rejoindre l’enfant qui l’attendait au milieu de sa yourte. Durant la manœuvre, son arrière-train heurta un objet ornemental censé représenter un arbre. Les fines feuilles en silice vitrifiées teintèrent mélodieusement entre elles. L’ermite fit semblant de ne pas comprendre d’où venait le son. Il fit exprès de regarder à gauche, puis à droite d’un air hagard. Ce qui fit beaucoup rire l’enfant. Quand il eut fini ses facéties, il alla se rasseoir, ravi de sa farce. Cependant, il était temps de débuter. Il ajusta sa position et s’éclaircit la voix à l’aide d’une nouvelle lampée d’infusion froide. La petite fille trépignait à présent d’impatience. Sans plus attendre, il initia son récit sur un ton grave :

  • Tout commença par une nuit sombre et fraîche. Les trois lunes diffusaient sur la vallée leurs lumières cendrées. Dans la faille rocheuse coulait le fleuve de sable d’une fluidité presque liquide. Sa surface miroitait comme une mélasse de diamant…

L’ermite fit onduler ses cinq doigts devant son visage pour représenter l’écoulement granuleux. La petite était déjà captivée par son incroyable jeu d’acteur. Assise en tailleur sur son gros cousin, elle se saisit les pieds et commença à se balancer.

  • Seules quelques îles escarpées s’opposaient au fleuve étincelant. Une d’entre elles excellait à cette tâche en fendant le flux à l’aide de son avant-bec improvisé. Cette construction n’était pas la seule empreinte industrielle que le paysage avait subi. Il y avait des mines, des champs en terrasse, un pont et des escaliers qui menaient à une cité juchée au creux d’un volcan. Cette ville était la dernière de son genre. Elle s’appelait Carrière, neuvième du nom. Malgré l’heure tardive, il y régnait une agitation inhabituelle. Des hauteurs, on pouvait observer des lueurs aller et venir. Des changements étaient en train de s’opérer dans cette cité loin de tout et les neuf silhouettes débarquant par le plateau nord s’apprêtaient sans le savoir à en être les principales actrices.

J’espère que cet extrait vous aura plu ! 🙂

Si vous voulez en savoir plus, sachez que l’histoire est actuellement en fin d’écriture. Il ne me reste plus qu’à améliorer certaines parties, à apporter du détail et surtout à terminer une douzaine d’illustrations que viendront agrémenter le récit.

À terme, j’ai pour objectif de publier le livre via un financement participatif. Le projet sera ainsi porté par différents évènements dont un vernissage des illustrations dans un tiers-lieu Nantais (c’est là où j’habite).

Si vous désirez être tenu au courant de l’avancement du projet, n’hésitez pas à vous inscrire à la newsletter ci-dessous:

Loading

Et à me suivre sur Facebook, Twitter ou Instagram.

À bientôt !

Axel Dalibert Legris

Laisser un commentaire

Scroll to top
%d blogueurs aiment cette page :